– A trois ! Un, deux, trois, on dégage !
Un bruit d’électrochoc se fit entendre.
– Toujours, rien. On charge à 20. Un, deux, trois, on dégage !
L’assemblée attendit de voir les effets de cette charge électrique, puis :
– ‘Tain, c’est pas vrai, toujours rien. On continue, cette fois on charge à 200. UN, DEUX, TROIS, ON DEGAGE ! »
Cet étrange rituel d’électrocution fut suivi d’un soupir de soulagement de la part de l’équipe médicale.
– On vient de récupérer une activité stable, mais on n’est pas passé loin. Je ne sais pas si elle va tenir encore longtemps. Contactez la famille, je vous prie. Il faut qu’ils sachent.
La Brune était en pleine réunion de travail avec deux collaborateurs en litige.
« Écoutez moi bien, mon petit vieux. Vous êtes peut être le gérant d’une encyclopédie libre, mais vous ne citez jamais vos sources. Et honnêtement, c’est du grand n’importe quoi ! » La brune s’arrêta pour montrer des copies-écrans de quelques titres d’articles farfelus.
Je pense qu’on a été assez raisonnable avec vous. Maintenant, c’est tolérance zéro. Si il y a sources, il y a publications, si il n’y a pas sources, il n’y a pas publications, et vous retournez bosser chez vos vieux. »
La Brune se tourna vers le deuxième collaborateur qui était aussi le plus âgés des deux et lui glissa discrètement : « Il commence à doucement me faire chier cui-là ! »
Ce dernier toisa son jeune homologue derrière ses lunettes en demi-lune et prit alors la parole. Il parlait avec un fort accent anglais. « Vous êt’e là pou’ info’mer and vous faites de la dezinformation or de l’app’oximative info’mation. I don’t know how to say it, but he needs to improve his background on every topic. » Cette dernière phrase était pour la Brune.
– Oui, vous devez améliorer vos connaissances dans tous les sujets que vous abordez.
Le collaborateur dans la tourmente pris alors la parole : « bah oui mais c’est facile pour vous de dire ça. J’suis pas payé moi. J’bosse gratis pour des millions de pécores qui connaissent que dalle à que dalle. Alors oui, j’fais des raccourcis et je cite pas mes sources, mais au moins, j’ai le mérite d’exister. Tu crois qu’l’autre blaireau d’Encarta, il m’a laissé sa boutique intact ? J’suis parti de rien. Je me suis fait tout seul ! »
– Mr Wikipédia, ce que l’on vous demande est simple. Améliorez vous ! On ne vous demande pas de faire peau neuve en un clic, juste de faire attention aux nouveaux articles qui sortent et de ré-updater les vieux.
– Méme moi, je dois fai’e pa’eil. Some publications ont des mistakes and nous faisons des erratum souvent.
– Merci Mr Pubmed de votre honnêteté, reprit la Brune. Vous voyez mon vieux, c’est pas compliqué. Faites gaffe ! Si vous le souhaitez, nous consentons à ce que vous puissiez créer un financement solidaire pour votre entreprise. Vos lecteurs pourraient vous financer. Et dernière chose, arrêtez de relayer des infos de la Famille Gorafi. Leur fond de commerce est de vendre des infos approximatives ou carrément fausses. Vous, vous êtes censé vendre du savoir et…
La musique de la leçon de piano s’échappa du téléphone de la Brune pendant plusieurs secondes, jusqu’à ce qu’elle décroche.
– Allo ? Oui c’est bien moi.
Tout d’un coup, la respiration de la Brune s’accéléra : « Quoiiii ? Mais, c’est que maintenant que vous appelez ? Vous ne pouvez rien faire pour la… ? Oui je comprends. Vous avez appelé les autres ? J’arrive tout de suite ! »
– Nous allons devoir remettre cette réunion à plus tard. Un problème familial grave. Je vous prie de bien vouloir m’excuser. La Brune ramassa ses affaires précipitamment et héla sa secrétaire. Mme Okégougeul ? Annulez tous mes rendez-vous jusqu’à nouvel ordre.
Arrivée devant le ministère de la culture, elle respira un grand coup et entra d’un pas décidé. Elle salua rapidement les membres de sa famille et attendit comme tous les autres que le couperet tombe.
« Mesdames et Messieurs, Je suis le médecin de votre aïeule et je suis au regret de vous annoncer qu’elle se meurt ».
L’annonce eut l’effet d’une bombe. Certains se mirent à pleurer, d’autres restèrent muets et la Brune resta figée dans un mimique dégoutée et interrogative.
– Je ne comprends pas bien, comment est ce possible ? Je pensais qu’il était impossible qu’elle disparaisse.
– Je sais bien, Mademoiselle, mais face aux derniers traitements, elle ne réagit pas aussi bien que nous le souhaiterions. Depuis 10 ans, nous nous battons pour qu’elle reste la première dans tous les domaines. Nous sommes passés de 6 chaines à 20 pour lui donner un second souffle. Ce qui a fonctionné un certain temps, on ne va pas le nier, mais le mal qui la ronge n’a fait que grandir et se propager. Nous avons alors tenté de rajouter plus d’une centaine d’autres chaines. Mais ce faisant, n’avons pas traité la cause mais les symptômes. Ainsi, le cancer s’est propagé.
– Un cancer ? Mais je croyais que vous ne saviez pas ? Maintenant, vous avez un diagnostique ? Quand il est trop tard ?
– Nous avons mis trop longtemps à comprendre ce qui lui arrivait. Mais maintenant, nous en sommes sur. C’est le cancer. Généralisé. Toutes les chaines en sont atteintes. Cela a commencé avec la télé-réalité sur M6, puis sur toutes les autres chaines. Puis les émissions poubelles sont arrivées. Jusqu’à ce qu’IL s’installe.
– Vous parlez de celui-dont-on-ne-doit-pas-parler mais qui rigole comme une dinde en remplissant le slip de son esclave de nouilles ?
Le médecin acquiesça d’un air grave. « La télé poubelle ou télé-consommation-rapide a envahi les écrans ces dix dernières années, si bien que la grille des programmes est construite sur du vide. Il n’y a quasi plus de renouvellement à la télé, on programme du vide et on le recycle pour qu’il s’auto-entretienne. Votre aïeule souffre de ce vide et du désintéressement total des 15-60 ans pour la télé. Depuis que celui-dont-on-ne-doit-jamais-parlé a gardé l’antenne plus de 24h d’affilé sans rien créer, juste en brassant du vent, votre Aïeule glisse irrémédiablement vers la mort. »
La Brune réfléchissait à toute vitesse. « Il y a une solution. Il doit y avoir une solution. Ce n’est pas possible autrement. »
Et puis, un idée germa dans sa tête. Son Aïeule ne mourrait pas d’un cancer biologique mais télévisuel. Elle était en train de se laisser mourir à cause d’un cancer télévisuel.
– Il faut que je lui parle, tonna la Brune.
– Elle est trop faible, vous devez la laisser en paix. Elle a eu une belle, longue et heureuse vie.
Néanmoins, la Brune entra dans la pièce d’à côté et y trouva son aïeule, les traits tirés, allongée sur un lit. Elle était vieille et fatiguée, le médecin avait raison, mais elle est plus forte et plus coriace que ça.
« Mémé » chuchota la Brune. « MéméTV ? C’est la Brune. La Web-Brune. Je ne sais pas si tu m’entends, mais… » Elle marqua une pause. Mais devant l’absence de réaction son aïeule, elle poursuivit.
« Mémé, on est tous là autour de toi. Nous sommes venus dès que nous avons su. Si tu nous entends, ne t’en vas pas, ne nous abandonne pas ! Je ne suis qu’un produit de ce que tu es. J’ai eu besoin de toi pour naître. Et maintenant que je suis complètement autonome, je vais prendre soin de toi et t’aider à t’adapter au monde extérieur, comme tu l’as si souvent fait pour moi. La télé telle que tu l’as conçu, est finie mais quelque chose de beau peut renaître de cette évolution. Regarde TontonTel et Mam’Radio. Ils ont évolué avec moi et tous les deux sont toujours présents et florissants. Ils font partis intégrante du Web, soit parce qu’ils permettent d’y accéder, soit parce qu’ils retransmettent leur émission dessus.
Mais ok. Je sais, pour toi, ce n’est pas suffisant. Toi tu aimes la création et l’inventivité. Ce que je te propose Mémé, c’est l’innovation, permettre de faire connaitre des contenus très créatifs au grand public qui se lasse de la vacuité de tes programmes. Sur Internet, on ne joue pas le même jeu qu’à la télé. Les cartes sont redistribuées et des créateurs de tous horizons peuvent se démarquer et toucher un public de plusieurs millions de personnes. Tout le monde dénigre les créateurs sur internet parce qu’ils n’ont pas joué le même jeu que les créateurs à la télé. Mais c’est un tort ! Nous nous sommes affranchis des barrières télévisuelles et cela vous fait peur. Mais vous ne devez pas nous craindre, ni vous sentir menacés. Nous pouvons travailler ensemble. Des être humains tel que la famille Astier, la famille Descraques ou des collectifs de type Golden Moustache et Studio Bagel, sont en route et vont te prouver que la télé n’est pas finie. Qu’elle peut encore s’en sortir. »
La Brune prit quelques secondes pour reprendre sa respiration quand le silence fut rompu par la faible voix de MéméTV.
« Tu prétends que ces jeunes gens peuvent changer les choses ? »
La Brune très émue de voir son Aïeule revenir continua son réquisitoire. « C’est déjà le cas Mémé. Ils changent déjà les choses. Leurs créations forcent des millions de gens à rire et à réfléchir. Tu dois leur faire confiance. L’avenir audiovisuel est dans leur main. Tout ceux qui prétendent le contraire sont soit déjà finis, soit voués à l’extinction.
Laisse nous t’aider ! S’il te plait. »
Le médecin incrédule vit les constantes de l’Aïeule revenir à la normale. Le pronostic vital n’était plus engagé. La télé allait être sauvée par des petits jeunes qui refusent de voir leur matriarche de la popculture, mourir.
La Brune fut tirée de ses rêveries par la pub de C8. Un rire machiavélique raisonna dans les hauts parleurs de la télé. Un rapide coup d’œil de la Brune suffit pour s’apercevoir que l’émission de celui-dont-on-ne-doit-jamais-parler avait commencé. Elle saisit sa télécommande et zappa, jusqu’à France4. Une autre pub monta jusqu’à ses oreilles « dès demain, retrouvez le premier épisode de Dead Landes, la nouvelle série de François Descraques, en exclusivité sur France4. »
La Brune sourit, éteignit la télé et mis de la musique. L’avenir audiovisuel est déjà en marche. La télé saura t-elle complètement s’adapter ou va t-elle disparaître ?