The 8ful movie

Dans une salle qui ressemble étrangement à un amphitheatre, un homme prend la parole devant 300 personnes :

  • Qu’est ce que l’ennui ? Vous avez 2h48 pour répondre à cette question.
  • Sachez jeunes gens que l’on peut définir l’ennui comme ceci : Lassitude due à un manque d’intérêt ou à une activité monotone.

L’assistance poussa un soupir mêlant exaspération, consternation et flemme, quand quelqu’une leva la main.

  • L’ennui serait, peut être, de passer 2h48 à faire une dissert’ de philo alors qu’on n’est pas là…

Le « Prof » lui coupa violemment la parole :

  • NON, la Brune, trop facile
  • Et puis pourquoi 2h48 ? C’est vrai quoi, c’est un peu étrange comme créneau horaire, non ?
  • Il est vrai que c’est très pointu comme timing, mais c’est voulu. Il est scientifiquement prouvé que 15 min suffisent pour perdre le peu d’intérêt que l’on peut avoir pour une activité. Mais le véritable ennui, le seul, l’unique, LUI, met 2h48 à s’installer.
  • Ok, vous avez besoin de ressentir les choses, de ressentir cet ennui qui donne l’impression de vous fossiliser sur place, l’envie de compter ses cheveux, puis de les décompter, l’envie de vous ouvrir les veines avec ces même cheveux.
  • Euh…
  • Vous l’aurez voulu. Jeunes gens, je vais vous montrer l’essence de l’ennui. Tout est regroupé en un seul film : The hateful eight. Ou les 8 salopards.
  • Naaaaaan, vous allez nous montrer le dernier film de Quentin Tarantino ? Super !
  • Pauvres fous… Vous n’êtes visiblement pas prêt, mais qu’importe, un bon électrochoc vous fera le plus grand bien.

Le prof de Philo lança le film sur un écran démesurément grand pour un amphithéatre, sorti de la pièce et les enferma à clé. Sur un ton assez mélodramatique, il dit à la cantonade : «j’espère qu’un jour vous me pardonnerez !»

La Brune comprit qu’un piège venait de se refermer sur elle et sur ses comparses.


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Chapitre Un : L’attente

Quand un film est attendu, on est tout excité, on est jouasse, on a envie de voir le scenario se dérouler sous nos yeux. Et même parfois, il nous arrive de nous dire après coup, « C’était tellement bien, j’avais juste envie que le temps s’arrête pour en profiter plus longtemps !».

Et puis parfois, on n’a rien demandé à personne et le temps s’arrête. Et tu as la désagréable impression que le temps ne redémarrera plus jamais.

« Oh merde, c’est juste le générique. » Et oui, après quelques 5 min de générique fort longues, heureusement soutenues par Ennio Morricone, tout ce qu’on voit c’est un Jésus en bois crucifié et recouvert de neige. La caméra dé-zoome très lentement et on aperçoit une diligence qui cavale. Le seul attrait de ce générique a été de voir défiler sur l’écran le casting impressionnant, agrémenté d’une musique parfaite.

Après ce générique mitigé, la Brune commence à avoir de sombres pensées. « Si tout le film est comme ça, on est pas sorti du sable ». La Brune n’est pas du genre à lâcher le morceau, elle laisse sa chance au produit, enfin bref, elle attend qu’il se passe quelque chose.

«Et puis, mince, c’est quand même Quentin Tarantino, on ne risque pas de s’ennuyer !»

Chapitre deux : la Désillusion

La diligence s’arrête parce qu’un homme lui barre le passage avec ses 3 cadavres congelés. A partir de là, s’en suit, quelque chose comme, 4 heures de dialogues stériles entre divers personnages, deux chasseurs de primes, une prisonnière et un vrai/faux shérif et tout ça, dans la diligence. Premier huis clos de cet huis clos. A force d’attendre quelque chose qui ne viendra pas, la déception s’empare de la Brune. Ou plutôt la désillusion. « Ouais c’est ça, j’me sens désillusionnée. Est ce qu’il va enfin se passer quelque chose qui mérite le déplacement ? ».

Si on veut résumer les 4 premières heures de ce film : une diligence avance, tombe sur un gars qui veut partager la diligence. Négociation pendant un temps anormalement long (sauf si ça se passe à la CPAM, mais vu le décor, la Brune a tendance à penser que non). Le mec entre dans la diligence. Discute de tout et de rien, mais surtout de rien. Un autre type veut monter dans la diligence. Négociation pendant un deuxième temps anormalement long (Nan mais sans déconner, c’est la sortie annuelle des employés de la CPAM ce truc ?). Le type monte et discute. De rien. ENCORE UNE FOIS.

Chapitre trois : L’emprisonnement

A partir du moment où le deuxième gars rentre dans la diligence et ouvre sa bouche, un sentiment de panique s’empare de la Brune. Cette scène en plus d’être répétitive, fait mal aux oreilles. Le Vrai/Faux Shérif a une voix à se crever les tympans avec un tisonnier.

Bref, c’est à ce moment là que la Brune commence à ressentir une sorte de claustrophobie. Enfermée à clé avec 300 personnes devant un supplice pareil. C’est pire que la prison.

Chapitre quatre : Tiens-quel-est-mon-planning-pour-demain- ?-Oh-merde-le film-n’est-pas-fini.

Nos chers amis, rattrapés par le blizzard sont obligés de s’arrêter dans un relais-étape intitulé : La mercerie. C’est à ce moment que le huis clos commence réellement. Une petite dizaine de personnes (ouais 8, d’accord) se retrouvent dans la mercerie et là : PATATRA. Ah non rien, pardon c’était trop tôt.

Tout le monde discute, s’apprivoise, se pique ses pistolets, se regarde avec des regards de tueurs tout en disant « ze vais voir ma maman pour les fêtes parce que si on ne voit pas sa famille dans ces moments là, quand le fait on ? ».

Bref tout le monde fait ce qu’il y a dans le script au détriment de la crédibilité du personnage.

Tout cela dure au moins 2h et là PATATRA, un mec clamse.

Quoi deux ?

Ah ouais deux mecs clamsent.

Chapitre 5 : Huis-Cluedo.

A partir de là, l’envie de quitter cet endroit est plus forte que tout. La Brune zieute les gens autour d’elle. La Châtain qui est à sa gauche se met à bouger. Elle attrape son sac et tente d’accéder à son téléphone. Va t-elle tous nous délivrer ? Va t-elle appeler des secours ? Nan, elle essaie de voir si notre calvaire touche à sa fin. Mais en vain. Le type assis à côté d’elle, roupille.

Ce qui est dommage, pense la Brune, c’est que cette partie est nettement plus intéressante mais que le périple des 8 dernières heures gâche ce moment. Il faut déterminer qui est qui, qui est avec qui et surtout qui est le meurtrier ?

C’est donc cette partie du film qui relève le niveau mais n’est il pas trop tard ?

Après 8 heures d’ennui, les 48 dernières minutes permettent de se raccrocher un peu à la vie et de reprendre espoir.

Chapitre final : Aaaah d’accord, tout ça pour ça.

Ayéééééé, on sait qui sont ces protagonistes, pourquoi ils sont là, pourquoi ils ont fait ce qu’ils ont fait. Bref, on a le scénario en main.

Mais putain, elle est vraiment bien cette histoire. Donc POURQUOI ? Pourquoi avoir buté le chef monteur avant le début du film et décidé de le tourner en un plan séquence de 3h ?

C’est incroyable, par moment, la Brune avait l’impression de voir une émission en direct, et pendant laquelle, il y eut beaucoup de problèmes. Du coup, les présentateurs étaient obligés de combler les trous avec des discussions qui tournent en rond. Ce moment où le téléspectateur zappe. Sauf que là, on était bloqués avec Michel Drucker déguisé en Kurt Russel, Harry Roselmack en Samuel L Jackson, Laurence Ferrari qui s’en prend plein la tronche en tant que Jennifer Jason Leigh, etc…

Epilogue 

Il existe une sorte de malédiction cinématographique que l’on pourrait résumer par «Quand ça veut pas, ça veut pas !»

Prenons un exemple simple : Don Quichotte. L’adaptation cinématographique de Don Quichotte par Terry Gilliam a tourné au désastre : des problèmes très en amont du tournage puis pendant le tournage : acteurs absents ou blessés, décors naturels dévastés  par des tempêtes, décors en studio inutilisables. Ces problèmes sont si important que le tournage est arrêté.

Dans le cas des«8 salopards», les signes du destin ne sont pas aussi extrêmes mais tout de même assez évocateurs. Son script a fuité début 2014, ce que l’on pourrait traduire par : «Lisez moi ça ! Si vous trouvez que ça c’est chiant, attendez voir la tête du film !». Cet évènement, au lieu de dissuader Quentin Tarantino de réaliser le film, l’a poussé à aller plus loin dans l’écriture pour finalement sortir le film…

«Nan franchement c’est pas bien. Faut arrêter de dire ou faire des choses quand le destin se ligue contre toi. Quand tu fais ça, Quentin, ça me fout une angoisse. J’pourrais te tuer je crois. De tristesse, hein ?» Pensa la Brune.

Alors oui, les acteurs sont bons, très bons même. Il y a des scènes épiques comme d’hab’. La musique est à se damner. Mais est ce que le jeu en vaut la chandelle ?


Une fois, les lumières rallumées, la Brune et la Châtain se regardèrent, s’étirèrent et se dirent : C’était long non ?

« Et où est passé le mec bizarre qui voulait nous faire faire une dissert’ de philo en plein Gaumont Parnasse ?»